L'élastographie, une "imagerie des palpations"

Lorsqu'un médecin suspecte une pathologie dans l'organe d'un patient, l'un de ses premiers examens est souvent de palper manuellement l'organe concerné. Ce geste permet d'avoir une première estimation de l'élasticité de l'organe, ou autrement dit sa dureté, et détecter d'éventuelles zones anormalement dures.

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Le Dr Hibbert essaie d'évaluer la quantité de graisse d'Homer... Vaste programme !

Depuis moins de 25 ans, l'élasticité d'un organe peut être observée beaucoup plus précisément grâce à une technique d'imagerie médicale appelée élastographie. Bien que relativement récente, les bons résultats obtenus par cette méthode encouragent son utilisation par les médecins. Cette technique permet de détecter efficacement certaines pathologies difficiles à voir autrement. Par exemple, en 2004 a été introduit le Fibroscan, un appareil mesurant l'élasticité du foie. En 2013, plus de 1300 de ces appareils étaient installés dans 70 pays du monde.

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Infographie sur le fonctionnement du Fibroscan (source)

L'élasticité peut être caractérisée par plusieurs paramètres. L'un d'eux, le module de cisaillement, varie énormément dans le corps humain, parfois de plusieurs ordres de grandeur, comme représenté par le graphique ci-dessous. Ce module de cisaillement peut être mesuré grâce à des techniques d'élastographie dites dynamiques, existant depuis une quinzaine d'années, décrites en détail ci-après.

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Variation du module de compression isostatique et du module de cisaillement selon les tissus. Le premier varie très peu selon les tissus, comparé au deuxième. C'est ce dernier qui est mesuré en élastographie dynamique (graphique tiré de ma thèse et issu d'un article de Sarvazyan et al.)

Les ondes de cisaillement, la base de l'élastographie dynamique

Les techniques d'élastographie dynamiques actuelles sont composées de trois éléments distincts : l'induction d'un déplacement dans un organe, l'observation de la propagation de ce déplacement, et le calcul de l'élasticité à partir des observations.

Le déplacement est généralement induit par un simple vibreur ou haut-parleur, placé à la surface de la peau et non loin de la zone à observer. Le déplacement peut également être créé par une onde acoustique focalisée - on parle de "Acoustic Radiation Force Imaging" dans ce cas. D'autres techniques sont aussi en cours d'exploration, dont la force de Lorentz, mon sujet de recherche actuel.

Ce déplacement va alors se propager dans les tissus alentours, comme l'illustre cette vidéo d'Homer Simpson chez le médecin. Ce déplacement peut notamment se propager sous la forme d'une onde de cisaillement. Plus le tissu biologique est dur, c'est à dire inélastique, plus cette onde est rapide. Ainsi, on peut produire une image d'élasticité de l'organe en mesurant la vitesse d'une onde de cisaillement en chaque endroit.

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Propagation d'un déplacement sous deux formes : comme une onde de compression (haut) ou de cisaillement (bas)

L'observation de cette onde se fait généralement par échographie ou par Imagerie par Résonance Magnétique (IRM), voire par Tomographie par Cohérence Optique (OCT). Selon la modalité, des algorithmes existent pour pouvoir suivre les déplacements. Ainsi, les images d'élastographie sont obtenues indirectement : on doit utiliser une autre modalité d'imagerie pour les produire.

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Elastographie par IRM d'un foie sain (gauche) et malade (droite). L'image IRM seule (haut) ne permet pas de dire si le foie est sain ou non. En créant des vibrations (images centrales), on peut reconstruire des images d'élasticité des foies, qui permettent de dire s'ils sont mous (gauche) donc sain ou durs (droite) donc fibrosé et malade (source)

Tant qu'à utiliser une autre méthode d'imagerie (échographie, IRM ou autre), les ingénieurs proposent de superposer les deux images produites. Cela facilite le travail du médecin, car il peut se baser sur des images qui lui sont familières et y ajouter selon sa volonté les images d'élastographie dans les zones qui l'intéressent.

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Elastographie ultrasonore typique d'une prostate. On peut distinguer une échographie ultrasonore "classique" en noir et blanc, et une image d'élastographie en couleur, légèrement transparente, superposée à celle-ci. Ces techniques sont complémentaires car elles permettent d'observer des informations différentes, en l'occurrence, le caractère bénin ou malin de la tumeur (source)

Une technique qui a le vent en poupe

L'élastographie est en plein développement actuellement, comme le montre le petit graphique ci-dessous issu de Google Scholar, montrant le nombre de publications incluant le mot "elastography" chaque année depuis 1990. Il est probable que cela devienne un examen clinique courant dans les prochaines années !

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Références

Difficile de choisir quelques articles en particulier sur l'élastographie, mais faisons une petite sélection subjective d'articles incontournables.
  • Les premiers pas de l'élastographie, basée sur des méthodes Doppler : Krouskop et al. (1987)
  • La première occurrence du mot élastographie, une technique relativement simple et élégante : Ophir et al. (1991)
  • L'une des premières observations des ondes de cisaillement par IRM : Muthupillai et al. (1995), dans un article de Science, et Plewes et al., même s'il n'a pas utilisé formellement le terme d'onde de cisaillement
  • L'article qui lance l'élastographie dynamique : Sarvazyan et al. (1998)
  • Un des articles menant à l'élastographie dynamique par ultrasons : Catheline et al. (1998)
  • La technique d'induction d'onde de cisaillement par ondes acoustiques focalisées (ARFI) : Nightingale et al. (2001)
  • La combinaison d'ondes de cisaillement induites par ondes acoustiques focalisées, avec une méthode d'imagerie ultrasonore ultrarapide : Bercoff et al.