Il y a quelques mois, une étude commandée par l'Oréal au sondeur OpinionWay s'intéresse à la place des femmes en sciences. Plusieurs résultats ont fait "le buzz" :
Nouvel Obs : Les femmes ne sont pas faites pour la science ? Les préjugés ont la vie dure :
Ils révèlent que 90% des Européens estiment que les femmes sont douées pour tout… sauf pour les sciences.
Au féminin : Femmes et science : Les préjugés persistent et signent !
67% des personnes interrogées (hommes et femmes confondus) pensent que les femmes n'ont pas les capacités requises pour accéder à des postes scientifiques de haut niveau. Manque de persévérance, d'esprit rationnel, d'esprit pratique, de rigueur, d'esprit analytique et tout simplement d'esprit scientifique...
Figaro étudiant : Pour 67% des Européens, la femme est moins apte à devenir scientifique que l’homme
Pour deux tiers des sondés, les femmes seraient moins capables de «devenir des scientifiques de haut niveau».
Ah quand même... Et que dit l'étude ?
Je vous invite à la consulter ici, elle est instructive et pas très longue : Scribd
"67% des Européens pensent que les filles ne sont pas faites pour la science"
Pour revenir au chiffre du titre de ce billet en particulier, qui a été pas mal repris, la question exacte est : "In your opinion, what abilities do women lack that stops them from becoming high-level scientists?" et 67 % des hommes/66 % des femmes répondent un ou plusieurs éléments qui ont été regroupés dans "Lack of abilities".
Sauf que... Cette question peut être interprété de deux manières :
* "les femmes sont moins intelligentes/douées/habiles que les hommes en sciences"
* "les femmes n'ont pas les mêmes opportunités que les hommes pour faire des sciences"
Le contenu est d'ailleurs explicité dans la question suivante : "Lack of abilities" est un fourre-tout qui inclut manque de "Self-confidence" et de "Professional network" (1ere et 2e réponse respectivement). En plus, si aucune des 17 propositions du fourre-tout ne convenait, on pouvait choisir "aucune de ces réponses proposées"... qui a quand même eu 33% de choix !
Donc c'est un raccourci très douteux de dire "les deux tiers des Européens pensent que les filles ne sont pas faites pour les sciences", car la question est (au mieux) ambiguë, et la forme du questionnement pousse à répondre dans le sens voulu par le sondeur.
D'ailleurs, la question suivante est "In your opinion, what is the biggest factor preventing women from being high-level scientists?". Les premières réponses sont, dans l'ordre "They are impeded by cultural factors", "They are impeded by men" et "They aren't supported by their management". Notez qu'il n'y a pas de "Elles sont moins intelligentes/douées/habiles", ni dans les trois réponses principales suivantes d'ailleurs (les autres réponses, pour moins de 7%, ne sont pas explicitées).
"90% des Européens estiment que les femmes sont douées pour tout… sauf pour les sciences"
Autre chiffre de l'étude, dont parle le Nouvel Obs par exemple : "Ils révèlent que 90% des Européens estiment que les femmes sont douées pour tout… sauf pour les sciences."
L'étude demandait exactement : "In your opinion, which of the following fields do women have the most aptitudes for?"
Il fallait choisir entre "Social matters", "Communication", "Languages", "The arts", "Business", "Politics" et "Sciences". Science a obtenu 10% (soit pas loin de 100/7 = 14%, qui serait la moyenne théorique), ce qui s'est transformé en... "Les femmes sont douées pour tout sauf en sciences"... C'est quand même une interprétation très malhonnête...
"80% des scientifiques ont été influencés positivement par leur enseignants"
Tiens, ça on ne l'a pas lu ! Et effectivement, d'autres points révélés par l'étude, plus positifs, n'ont pas été repris. Par exemple, d'après les personnes qui ont poursuivi en science (garçons et filles), les enseignants ont eu à 80% un rôle positif (= ont encouragé à poursuivre dans ce domaine), plus précisément 82% et 77% entre homme et femmes. Donc même si une différence existe, les enseignants sont donc loin de décourager les filles de poursuivre en sciences.
Et donc ?
On peut en conclure de cet exemple que :
1) Il est toujours utile de lire les sources et non pas le simple communiqué de presse
2) La formulation des questions dans un sondage peut énormément influencer le résultat, surtout si les questions sont (volontairement) ambiguës
3) Il faut se méfier des buzz
Oui, ces quelques points sont assez classiques, mais apparemment, un certain nombre de journalistes ne les applique pas encore.
Et surtout, faire du buzz sur des chiffres biaisés ne peut que donner du grain à moudre ceux qui nient la situation, et cela dessert le problème, bien réel, du sexisme dans le monde scientifique. Bref, un peu de rigueur ne ferait pas de mal !
Je tiens quand même à noter que d'autres sites ont rapporté plus fidèlement le sondage (même si celui-ci est un peu biaisé, comme on l'a vu), comme Terra Femina ou Science et Avenir - bien que les chapeaux soient pas mal tendancieux...
2 réactions
1 De Abranis - 03/04/2016, 13:01
" Avant de donner des leçons ou son avis sur l'existence ou non du sexisme, il est préférable d'écouter celles qui s'en sentent victimes"
Il me semble qu'il est très important d'ajouter que les hommes sont également victimes du sexisme et cela échappe à beaucoup de monde (y compris à moi il y a encore pas si longtemps).
Le sexisme tend à cloisonner les hommes et les femmes dans des rôles qui ne correspondent pas à leur véritable personnalité ni à leurs véritables compétences. Il me semble que cela occasionne une pression généralisée dans la société que ce soit chez les femmes ou chez les hommes. Je pense que des comportements à risques apparaissent, du stress, de la dépression, l'idée que l'on n'est pas un "vrai" homme ou une "vraie femme et que l'on ne pourra être accepté tel que l'on est...
De plus, puisqu'il est maintenant avéré que les femmes sont aussi douées en sciences que les hommes, lorsque certaines femmes refusent d'endosser des carrières scientifiques et que beaucoup d'hommes font au contraire tout (ou en tout cas beaucoup) pour les endosser, il me semble (mais j'attends les avis des véritables experts sur le sujet) que cela nuit à l'économie tout entière du pays car certains hommes travaillent à des postes que certaines femmes plus douées pourraient occuper : ce serait une perte de compétitivité pour tout le pays.
2 De Pol GM - 05/04/2016, 15:16
C'est vrai. Ce que je voulais surtout dire avec cette phrase, c'est qu'un bon point de départ sur le sujet des discriminations en général (sexisme, racisme, homophobie ...), c'est d'écouter les personnes qui s'en sentent victimes. Mais oui, il est vrai que les hommes aussi sont victimes de sexisme, dans le sens où on attribue des qualités désirables qui peuvent être différentes de celles qu'on attribue aux femmes, et qui ne conviennent pas à tous les individus.
Pour revenir à la nuisance des inégalités en économie, à un niveau gobal, l'entrée des femmes sur le marché du travail s'accompagne de gains de productivité énormes dans un pays. Au niveau d'une entreprise, des études ont également montré que "l'augmentation de la présence de femmes cadres s'accompagne de gains de productivité" (il y a quelques liens sur la page wikipédia sur la productivité : https://fr.wikipedia.org/wiki/Produ... ). Donc il est vraisemblable que cela s'applique également au milieu scientifique.