Et donc, cette histoire de scotch à rayons X ?

Dès 1620 (oui, oui), Francis Bacon (vu la date, on parle de l'humaniste du 17e siècle, par l'artiste du 20e siècle, évidemment...) rapporte qu'en essayant de casser des morceaux de sucre dans le noir, on pouvait voir un peu de lumière. Pas grand chose, hein, on va pas éclairer sa maison avec des morceaux de sucre, mais le phénomène existe vraiment. Vous pouvez même essayer chez vous, c'est peut-être pas la plus impressionnante des expériences scientifiques, mais certainement l'une des plus simples...

Quelques centaines d'années plus tard, des chercheurs ont essayé de dérouler des morceaux de scotch dans le noir - plus exactement, des morceaux de Duct Tape. Là encore, de la lumière serait produite comme le montre cette vidéo Youtube. Je dis "serait", car j'ai essayé, et après avoir déroulé au moins trois rouleaux sans rien voir, j'ai abandonné l'expérience. Mais bon, apparemment ça marche mieux dans le vide, ce qui n'était pas le cas de mon placard à balais de ma salle de manip, et en plus, ça a été publié dans Nature, je leur fais confiance.

Production de lumière lors du déroulage de scotch

Ces deux phénomènes, ainsi que d'autres du même ordre, ont été nommés sous le terme de triboluminescence (on voit aussi les termes de mécanoluminescence ou fractoluminescence). Ce terme est un beau mélange de grec ("τρίβειν", frotter) et de latin ("lumen", lumière), et suscitent un grand intérêt. En effet, qui dit production de lumière, dit production d'ondes électromagnétiques. Il y en a de toutes sortes, d'énergie variée, et notamment des rayons X. Le phénomène n'est pas encore parfaitement compris, mais les chercheurs supposent que les cassures violentes séparent les charges. Qui dit séparation de charge, dit champ électrique, ce qui met en mouvement les électrons. Ceux-ci rentrent alors en collision avec des atomes présents dans l'air, ce qui créé des ondes électromagnétiques, comme décrit dans le billet précédent sur les tubes de Crookes. Et, parmi ces ondes électromagnétiques, de la lumière visible (comme dans la vidéo ci-dessus), et des rayons X. Pas de panique si vous essayez chez vous cependant : les intensités sont minuscules, surtout lorsque c'est dans l'air et non pas dans le vide.

Mais... Il n'y a pas une contradiction ? Pourquoi ça marche mieux dans le vide ?

Effectivement, dans un vide total, les électrons ne rencontreraient pas d'atomes, donc pas de collision possible qui pourrait donner des rayons X. Mais en réalité, le vide n'est pas parfait. A très basse pression, les électrons se propagent en moyenne sur une distance plus grande que dans l'air avant de rentrer en collision avec un atome : ils ont été accéléré plus longtemps, donc les collisions sont plus "violentes", d'où la production de rayons X.

Bref, grâce à ce phénomène, on pourrait ainsi produire des rayons X facilement à des fins de radiographie. En physicien de l'Université de Californie (Seth Putterman) a d'ailleurs lancé une start-up sur le sujet, et a déposé un brevet sur le sujet dès en 2008.

Vidéo des fondateurs de la startup

Son équipe a même réussi à faire des radiographies d'un doigt faites grâce à ce mécanisme.

Tribolum_Xray2.png
La fameuse radiographie du doigt. Moi non plus je ne suis pas très impressionné par la qualité du cliché, mais ça a l'air de marcher (source)

Donc demain, pour faire une radio du genou, on déroulera un rouleau de sotch ?

Si le concept fonctionne correctement, l'intérêt serait d'avoir un appareil de radiographie beaucoup plus léger, consommant moins d'énergie, émettant moins de chaleur... On peut même imaginer une version portable, qu'un médecin pourrait emporter sur place en cas d'urgence. Mais en attendant, il y a encore du boulot : les intensités obtenus sont environ 10.000 fois inférieures à celle utilisés dans les radiographes "traditionnels". Mais les chercheurs y travaillent, et ont annoncé que le dispositif final ne comporterait pas de scotch (mais sans révéler ce qu'ils utiliseront à la place...).

Références