Au cours du XIXe siècle, la communauté scientifique avance à grand pas en électromagnétisme. Ainsi, Maxwell parvient à synthétiser les connaissances sur le sujet grâce à ses célèbres équations - même si en réalité, il commença par les écrire, en 1865, sous la forme de 20 équations à 20 inconnues, ce qui demandait un niveau mathématiques plutôt conséquent...
Les tubes à décharge
En particulier, dans les années 1880-1890, plusieurs scientifiques s'intéressaient aux "tubes à décharge" qui présentent des propriétés surprenantes. Ces objets sont constitués d'un tube en verre dans lequel on a fait un vide partiel - les générations successives parviendront à obtenir des vides de plus en plus poussés. Au début des années 1890, les plus célèbres sont les "tubes de Crookes", du nom de leur inventeur, William Crookes. Dans ces tubes se trouvent deux électrodes : on applique entre celles-ci une différence de potentiel, donc l'une est considérée comme une cathode, et l'autre comme une anode. On peut alors observer, sur la paroi du tube, une fluorescence verdâtre.

Pour comprendre un peu mieux ce qui se passe, les scientifiques font toutes sortes d'expériences.
Ainsi, Juliusz Plücker met une sorte de croix qui ressemble à une croix de guerre allemande (on préfère parler de croix de Malte, mais bon, passons) : on distingue alors l'ombre de cette croix sur la paroi du tube, ce qui suggère une propagation en ligne droite.
William Crookes place une roue à aube sur le "trajet" et constate que celle-ci tourne, comme si des particules ou des rayons étaient émis par la cathode.
Heinrich Hertz constate que l'ajout d'une seconde paire d'électrodes, placées perpendiculairement, dévie le trajet des particules.
William Crookes, encore lui, constate le même phénomène avec un aimant placé proche du tube.
Philipp von Lenard enlève le fond du tube de verre et le remplace par un film d'aluminium, mais la fluorescence peut quand même être observée derrière, sur un disque de carton peint avec du platinocyanide de baryum - oui, c'est précis.
L'expérience de Röntgen
En décembre 1895, Wilhelm Röntgen, lui, entoure le tube de verre de carton noir opaque, qui empêche les rayons lumineux de passer. Lors de son expérience, pour vérifier que le carton est bien opaque et qu'aucun rayon lumineux n'en sort, il éteint la lumière pièce, et déclenche une décharge de son appareil. Il s'aperçoit qu'il y a une sorte de flash lumineux au fond de son laboratoire, quelques mètres plus loin. Surpris, il recommence, et observe le flash lumineux à chaque décharge. Il parvient à localiser la source des flashs : il s'agit d'un morceau de carton peint avec du platinocyanide de baryum qui trainait là (oui, le même matériau que celui de Lenard).
Forcément, ça l'intrigue, et à l'instar de Plucker qui avait mis une petite croix entre la source (la cathode) et la surface d'observation, Röntgen teste un peu tout ce qui trainait dans son labo. Il en profite au passage pour placer des plaques photographiques derrière la feuille de carton, afin d'avoir une trace de ses observations.
Röntgen commence alors par placer une plaque d'aluminium entre le morceau de carton opaque et celui peint avec le platinocyanide de baryum. Il fait ensuite des tests avec des morceaux de caoutchouc, des bouts de bois, dont "un de 20x20 mm dont un côté est peint avec une peinture blanche au plomb", un livre "d'environ 1000 pages", deux paquets de cartes à jouer... Et enfin, Röntgen a une idée de génie : appeler sa femme, Bertha. Celle-ci accepte de mettre sa main à l'endroit indiqué, et la décharge est exécutée : la première radiographie au monde est réalisée.

On distingue clairement sur ce cliché la main de Bertha, avec non pas une énorme tumeur cancéreuse mais une bague, peut-être son alliance. L'expérience est reproduite plusieurs fois, et les clichés correspondent.

Conséquences
Röntgen, qui ne connait toujours pas la nature des rayons qu'il observe, les nomme "rayons X", comme l'atteste la note de bas de page de son article originel :
Afin d’être bref, j’utiliserai le terme ‘rayons’, et pour les distinguer d’autres du même nom, je les appellerai ‘rayons X’Il sera récompensé pour ses découvertes par un prix Nobel en 1901.
La technique sera par la suite considérablement améliorée : et à peine un an plus tard, on obtient des radiographie de qualité médicale, ce qui entraine l'ouverture des premiers centre de radiologie, et les radiographies seront à être utilisées à "grande" échelle lors de la Première Guerre mondiale, avec notamment les fameuses Petites Curies.

Les radiographies seront alors nommées (et sont parfois encore nommées, selon les langues) Röntgenogrammes, en son honneur. Le verbe "zu röntgen", en allemand, continue d'ailleurs aujourd'hui à désigner l'action de radiographier quelqu'un...
Personnellement, de ces expériences, je tire deux moralités importantes :
- le laboratoire d'un chercheur ressemble parfois à un vieux débarras
- lorsqu'on fait une expérience douteuse, mieux vaut d'abord la tester sur un autre plutôt que sur soi-même
Références
- L'article original de William Röntgen, en entier, en français et en allemand - et oui, l'anglais n'était pas encore systématique à cette époque